Par Nicolas Saudray
Août 2024
Mon dernier passage à Pont-L’Évêque remontant à vingt-cinq ans, j’ai voulu revoir, à l’occasion d’une dédicace de livres, ce lieu qui m’avait plu.
Un évêque de Lisieux eut l’idée de bâtir un pont à péage sur la Touques. Une petite ville se développa autour de cet ouvrage. Elle n’avait point de murailles, mais sa fonction de siège de la vicomté d’Auge lui valut d’attirer des notables dont les belles demeures existent encore.
Les bombardements de 1944 détruisirent la cité aux deux tiers. Elle fut rebâtie assez bien, en évitant autant que possible le béton passe-partout. Grâce à la proximité de Deauville-Trouville, Pont-L’Évêque a évité le déclin que subissent tant de petites villes. Tombée à deux mille sept cents habitants en 1946, la population avoisine aujourd’hui les cinq mille. Soit plus du double du chiffre atteint sous la Révolution, époque à laquelle la cité était néanmoins un chef-lieu d’arrondissement (rôle qui lui a été ôté par la réforme Poincaré). Cette prospérité a pour rançon une circulation assez intense à la belle saison. David de Rothschild, l’une des vedettes de ka banque parisienne, a été maire ici pendant dix-huit ans.
Pont- L’Évêque s’étire le long de sa rue principale, coupée par la Touques. Curieusement, le nom de cette rivière porte un s final, comme pour sa voisine la Dives. Serait-ce à cause de leurs méandres, qui les rendent plurielles ? Le centre-ville, moins homogène que je l’aurais souhaité, offre néanmoins des édifices remarquables. Altière, dominante, pourvue d’un clocher aux allures de donjon, l’église gothique Saint-Michel (XVème-XVIème siècles) est presque une cathédrale. À l’intérieur, une maquette illustrer le drame de 1944, avec la nef éventrée. Les injures ont été réparées, les vitraux ont été remplacés avec bonheur.
Deux édifices « briques et pierres » du XVIIème ont été fidèlement restitués : l’hôtel de Montpensier, aujourd’hui bibliothèque (sans rapport avec les ducs du même nom), et l’hôtel de Brilly, devenu sous-préfecture puis mairie.
L’ancien couvent des dominicaines, en pans de bois, est devenu un espace culturel, avec un musée qui présente notamment une reconstitution de l’intérieur de la grand-mère de Flaubert . En effet, la famille maternelle de l’écrivain habitait Pont-L’Évêque, et elle y a certainement connu quelques-uns de mes propres ancêtres. Flaubert y a situé l’un de ses chefs d’œuvre, Un Cœur simple (1877), en fusionnant l’histoire d’une servante de sa grand-mère avec celle d’un perroquet que possédait un autre parent. À la fin du « conte », la vieille Félicité, parvenue au terme d’une vie de dévouement, reçoit une dernière vision de cet oiseau qu’elle aimait, et qui prend les dimensions du Saint-Esprit. L’incroyant Gustave, arrivé lui-même au terme de son parcours, a réussi là une scène émouvante.
La vicomté d’Auge reste présente par son siège, une mystérieuse tour carrée et chapeautée du XVIIème siècle, usée mais digne.
Forteresse de briques, éclairée de façon avaricieuse par des impostes en arc-de-cercle, l’ancienne prison détonne un peu. Mais c’est l’un des très rares exemples, en France, d’une geôle demeurée à peu près dans son état d’origine. Aussi sert-elle parfois de décor pour un film, et des visites guidées sont organisées de temps à autre. Construite à compter de 1823, elle est d’inspiration néo-classique, malgré quelques créneaux de fantaisie.
De 1857 à 1861, les détenus sont, en moyenne, au nombre de 138. Sur la période 1890-1894, l’effectif tombe à 49. La proportion de femmes varie de 40 % à 20 %. Les sexes sont séparés, mais sans isolement, les hommes étant répartis entre quatre grandes cellules, et les femmes de même . L’encadrement se limite à un gardien-chef, à son épouse baptisée surveillante, et à un gardien sans grade. Malgré l’aspect rébarbatif de la bâtisse, les évasions se révèlent donc assez aisées. En 1846, un prisonnier prend congé en perçant tout simplement un trou de 45 cm de diamètre. En 1949, c’est le tour de René la Canne, une sorte d’Arsène Lupin qui amuse le public : il scie des barreaux, enjambe le mur d’enceinte, saute dans une voiture qui l’attendait. Il aurait pu, à vrai dire, passer par la porte d’entrée, qui ne ferme plus, mais il a préféré une solution plus élaborée afin d’éviter de trop graves reproches au gardien-chef, avec lequel il était en bons termes.
À la suite de cet exploit, on s’aperçoit que la prison était cogérée par les détenus et les gardiens. La presse se moque de la « joyeuse prison de Pont- L’Évêque ». Un procès se termine en queue de poisson. La geôle est désaffectée en 1953.
Heureusement, les Pontépiscopiens ont un autre trésor à montrer : à l’ouest du centre-ville, le festival de colombages de la rue Saint-Michel et de la rue de Vaucelles qui la prolonge, avec aussi des encorbellements le long d’un petit affluent de la Touques, l’Yvie. Ce quartier a échappé aux bombardements de 1944 et a été réhabilité durant les années 1990. La technique du pan de bois y montre toutes ses possibilités. Les couleurs sont maintenant à point, ni trop pâles ni trop vive. Un régal.
D’autres colombages, en moindre nombre, d’autres édifices anciens, plus une étonnante villa du XXème siècle, se trouvent sur une voie qui part de la Poste, la rue Jean-Guillaume Thouret. Le nom de cette rue rend hommage à un député de 1789, fils d’un notaire, qui y est né, a présidé la Constituante, et surtout a engagé la division du territoire en départements. Il voulait que ce soient des carrés de taille uniforme. Heureusement, ses collègues ne l’ont suivi que de loin. Et le zèle réformateur de ce monarchiste modéré ne l’a pas empêché d’être guillotiné.
Je signale aux amateurs de colombages qu’ils peuvent rendre visite à bien d’autres lieux du pays d’Auge, ainsi qu’aux vieilles maisons de Rouen, et plus encore à celles de Troyes, qui forment à cet égard le plus bel ensemble homogène de France – cet ville ayant eu la chance de n’être détruite ni en 14-18 ni en 44.