« Briller », un récit de Laurence Cossé

Lu par Nicolas Saudray
2 Mars 2025

Laurence Cossé est une romancière confirmée. Explorant volontiers des sujets inattendus, elle a reçu le grand prix de littérature de l’Académie française pour l’ensemble de son œuvre. Mais cette fois, ce n’est plus du roman. La matière étant suffisamment pittoresque, pas besoin d’en rajouter. Tout est vrai.

L’occasion de ce livre a été fournie par la maison Chaumet, place Vendôme, qui dispose d’archives remarquables, et a souhaité en faire connaître l’essentiel. Nous avions déjà accès, par des ouvrages plus ou moins confidentiels, aux aventures de tel ou tel joyau. De son côté, Jules Verne avait imaginé, dans son Étoile du Sud, l’histoire d’un gros diamant sud-africain avalé par une autruche. Laurence Cossé va beaucoup plus loin : elle trace, à l’usage du grand public, une perspective historique vivante et presque complète de la haute joaillerie.

Comme il fallait la placer dans l’une des rubriques du site Montesquieu, j’ai choisi le XIXème siècle, particulièrement présent dans le livre. Mais le XXème a aussi une large part.

Un diamant est éternel, affirme une certaine publicité. Laurence Cossé insiste au contraire sur la précarité des pierres précieuses, même les plus belles. Objets de convoitise, elles sont cachées, perdues, volées. Le plus souvent, les parures amoureusement créées pour de grandes dames sont démontées à la génération suivante : on a trouvé la parure démodée, ou bien on espère que la vente pierre par pierre rapportera plus qu’une vente globale. Les bijoux de la Couronne, sous Louis XVI, formaient un ensemble magnifique. Qu’en reste-t-il ? Quelques joyaux à la galerie d’Apollon du Louvre, plus les camées et intailles de la Bibliothèque nationale de France.

Les Nitot, prédécesseurs des Chaumet, sont les fournisseurs de Napoléon. Celui-ci, nouveau riche, couvre Joséphine et Marie-Louise de bijoux, et se couvre lui-même de diamants dans les grandes occasions. L’une des parures offertes à la première impératrice est si lourde qu’elle ne la porte jamais. Les Nitot fabriquent aussi la tiare donnée par l’empereur au pape Pie VII ; elle subsiste au Vatican, mais toutes ses pierres ont été vendues au profit des pauvres, et remplacées par des fausses.

La Restauration et la monarchie de Juillet se montrent plus discrètes. Ce n’est pas le cas de la princesse Mathilde, cousine germaine de Napoléon III, épouse vite séparée du richissime comte Demidoff. Laurence Cossé se plaît à camper cette amie des lettres et des arts. La joaillerie est en effet un bon angle pour observer des personnalités marquantes. Dis-moi quels sont tes bijoux, et je te dirai qui tu es.

Elle aussi, l’impératrice Eugénie se livre à une orgie de pierres précieuses, fournies par les Chaumet. Son exemple est suivi par la Païva, aventurière venue de Russie, mariée à un riche cousin de Bismarck, Henckel von Donnersmarck.

Leur passion est partagée par le prince Félix Youssoupoff, héritier d’une grande fortune, travesti dans sa jeunesse,  plus tard assassin de Raspoutine. N’ayant pu récupérer les bijoux qu’il avait cachés dans son palais de Moscou, il meurt exilé en France, presque dans la gêne. Ce sont les Soviétiques qui s’emparent de son trésor, après avoir eu la chance de le découvrir.

Autres croqueuses de diamants, les Dolly Sisters, des jumelles hongroises, vedettes de la danse. Mais leurs affaires tournent mal. L’une des sœurs se pend. Les belles pierres, émettrices de rêves, ou messagères du malheur ?

Au milieu du XXème siècle, la haute joaillerie est victime d’une désaffection.     Va-t-elle disparaître ? Les Chaumet font faillite. Leur maison, de même que ses consœurs de la place Vendôme et de la rue de la Paix, sont sauvées par les nouveaux milliardaires du Proche-Orient, de Russie et d’Amérique. Aujourd’hui, Chaumet va bien, et fait partie de l’empire de Bernard Arnault. Ses principaux confrères prospèrent aussi.

Au terme de ce parcours miroitant, la tête du lecteur tourne un peu. Que de splendeurs ! Que d’objets de tentation ! Il interroge Laurence Cossé. Elle répond que, tout compte fait, et malgré l’éblouissement qu’elle a su communiquer, elle préfère la frugalité au luxe.

Le livre : Laurence Cossé, Briller, Gallimard, 2025, 352 pages, 22 euros. 

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