De Benoît Duteurtre, lues par Nicolas Saudray
Mai 2020
L’efficace pamphlet de Benoît Duteurtre a eu la malchance de paraître juste avant l’épidémie. Il serait dommage que ces circonstances lui retirent une audience méritée.
L’auteur, romancier, essayiste et musicologue d’origine havraise, est un arrière-petit fils de René Coty, ce qui ne l’a pas empêché de devoir officier comme vendeur au BHV pour payer ses études. Les auditeurs de France-Musique connaissent bien son émission du samedi matin, Étonnez-moi Benoît, menée avec brio depuis vingt ans, et consacrée à l’opérette ainsi plus généralement qu’à la musique légère.
Or l’auteur de cette euphorie se révèle un homme torturé. Anne Hidalgo, mairesse de Paris, lui apparaît en songe et le soumet à des supplices en riant de toutes ses dents.
Mairesse, ai-je écrit, au risque de provoquer un mouvement d’indignation. Ce terme est supposé péjoratif, comme tigresse et traîtresse. Mais alors, pourquoi princesse, duchesse, comtesse et Suissesse ? Benoît Duteurtre, qui figure parmi les défenseurs de la langue française, ne pourra que m’approuver.
Ce Parisien d’adoption n’a pas de voiture. Moi non plus. Cette situation nous permet, me semble-t-il, de formuler un jugement objectif sur le combat mené à Paris contre les automobilistes, au nom de l’écologie.
Évidents sont les inconvénients des moteurs thermiques, dans notre capitale. Mais est-il raisonnable d’entraver la circulation automobile, alors que le réseau de transports publics est en grande partie saturé, et ne pourra s’améliorer dans l’immédiat ? Est-il équitable de concentrer le tir sur les quatre-roues, alors que les deux-roues, pour le bruit, viennent largement en tête ?
Benoît Duteurtre rappelle l’affaire de la voie expresse Georges Pompidou. Un président lettré avait hélas livré les berges à la voiture. Un maire antérieur à l’actuelle, Jean Tibéri, a pris une décision équilibrée, en restituant cette chaussée aux piétons tous les dimanches – jours durant lesquels une circulation réduite pouvait supporter cette contrainte. Puis est venu l’excès, la prohibition totale des moteurs. D’où, inévitablement, un report du trafic sur les quais de la rive droite, déjà en difficulté. Il n’y a pas si longtemps, ces quais étaient encore des chemins pour amoureux, garnis de boîtes de bouquinistes. Ils ont perdu leur attrait, sont devenus des corridors de bruit. Pour quel bénéfice ? En contrebas, la large voie goudronnée, peuplée de coureurs et de cyclistes, garnie de palmiers minables, n’a rien d’une réussite esthétique.
Et maintenant, c’est le tour de la rue de Rivoli. On a pu voir, durant ces jours de demi-déconfinement, des brigades d’agents de la Ville se démener pour la réserver aux piétons et aux cyclistes. Résultat : un axe presque vide. Espérait-on sérieusement que les habitants de la grande banlieue, handicapés par le fonctionnement partiel des trains et du métro, allaient venir jusque-là à vélo ?
Mieux vaudrait attendre, sans se livrer à toutes ces croisades, que la voiture électrique, encouragée par les pouvoirs publics, se substitue progressivement et sans trop de douleur aux voitures à essence ou au diesel.
Le piéton Duteurtre habite l’île de la Cité. Un privilège, pourrait-on croire. Eh bien non. Les manifestations multiples, les précautions de sécurité prises en conséquence rendent la vie difficile aux habitants (sans même mentionner les conséquences de l’incendie de Notre-Dame).
Le lieu de résidence de notre auteur le rend particulièrement sensible à deux projets horrifiques. L’un, mené à la fois par la Ville et l’Assistance Publique, concerne l’Hôtel-Dieu, édifice d’une bonne architecture néoclassique, qui pourrait être beau si on le ravalait, et renferme une spectaculaire cour-jardin. Ce lieu est idéalement placé pour les urgences hospitalières. Et pourtant, on vient d’en céder le tiers à un promoteur immobilier, qui va le transformer en centre commercial (comme s’il n’y avait pas déjà suffisamment de commerces dans le centre de Paris) et en résidence étudiante.
Le second projet inepte, moins menaçant dans l’immédiat (mais nous ne perdons rien pour attendre), s’attaque à l’un des lieux les plus sympathiques de notre capitale : le marché aux fleurs de la Cité. Suivant une tactique éprouvée, la Ville laisse les pavillons de fer se détériorer, pour pouvoir décréter ensuite qu’il faut tout renouveler. L’idée consiste à recouvrir l’ensemble d’une immense cloche de verre. Au secours !
Le centre de Paris n’est pas, loin de là, la seule victime de ces folies. La majorité du Conseil municipal, prétendument verte, fait détruire une partie des serres d’Auteuil.
Je pourrais, à la lecture de l’ouvrage de Benoît Duteurtre, protester encore durant des pages et des pages contre la mairesse et ses collaborateurs. Je me bornerai, pour conclure, à une dernière offense, qui excède les limites de la Ville : l’autorisation, donnée aux promoteurs, de recouvrir de vastes affiches agressives leurs chantiers de rénovation historique. Ces oripeaux restent en place durant des mois voire des années. Exemple : la place de la Concorde. L’alibi est que ces publicités produisent des fonds pour la restauration. Mais à quel coût psychologique ! Des touristes viennent à Paris une seule fois dans leur vie, et c’est l’image qu’ils en rapportent. La moindre des choses consisterait à prescrire une harmonie entre les affiches et les monuments recouverts : interdiction de représenter des personnages modernes ou des objets modernes, limitation de la taille des caractères…
Nous vivons dans une ville sale, taguée et, au nom d’une idéologie non maîtrisée, éventrée par des chantiers. Parisiens, réveillez-vous !